Au mois de mai dernier, en plein coeur du confinement dû à la pandémie de la COVID 19, j’ai entendu ceci venant de la bouche de Matthieu Dugal, animateur à la radio et à la télévision: « La chose la plus importante dans cette crise, pour moi, ça demeure l’espoir. »
Il m’est alors revenu en mémoire quelques faits vécus lors de nos grandes traversées océaniques, quand le vent parle un peu fort dans le creux de nos voiles et gonfle une mer désordonnée, quand nous tissons dans notre imaginaire l’espoir de trouver terre, là-bas, loin au-delà de l’horizon.
Laissez-moi vous raconter un petit bout de notre sillage autour du monde. Une histoire d’espoir!
Octobre 2003, à bord de notre voilier Balthazar.
Nous en sommes à notre 8e jour en mer depuis l’archipel des Cocos Keeling dans l’océan Indien. Entre Cocos Keeling et l’île Maurice notre prochaine escale il y a 2300 milles marins. La traversée nous prendra environ 3 semaines.

« Les deux derniers jours ont été nuageux et pluvieux. Les vagues étaient grosses et nous malmenaient sauvagement, ajoutant une touche de tristesse à l’atmosphère. Pourquoi faut-il que les traversées soient si longues? » Chloé
L’école et la lecture occupent une grande partie de la journée de nos filles. Elles ne semblent pas s’ennuyer, pourtant, Chloé et Joëlle trouvent les grandes traversées un peu longues. N’ayant plus aucun livre adapté à leur âge, elles puisent donc dans les livres de papa et maman! Nous sommes tous un peu las, « Fiu » comme disent les polynésiens, de cette traversée mouvementée. C’est le bon moment pour offrir aux filles les livres adaptés à leur âge que nous avions mis de côté pour une occasion spéciale comme cette longue traversée.
« Tout à l’heure, papa et maman nous on fait une belle surprise : ils nous ont donné six beaux livres et deux CD achetés au Québec. Enfin de la lecture de « notre niveau ». Ce n’est pas que je n’aime pas lire des livres « pas nécessairement pour enfants », mais les livres plus pour adultes sont épuisants à la longue. » Chloé
La route est encore pavée de grosses vagues. Elles nous arrivent par le travers et parfois explosent en gerbes sur les flancs de Balthazar, et arrosent le pont d’une pluie d’embruns. Nous sommes en déséquilibre sur une mer houleuse. Il me vient en mémoire cette citation d’un philosophe dont j’ai oublié le nom: « la vie – comme la vague – est la fille d’un océan tourmenté par une dépression ».
Il y a quelques années, à la suite de notre première grande traversée entre les îles Galapagos et les îles Marquises, Chloé m’a fait cette réflexion: « C’est curieux que lorsque nous sommes en mer nous rêvons de la terre et de ses merveilles et quand nous y sommes enfin arrivés, au bout d’un certain temps, nous rêvons de la mer et de ses enchantements. »

Chloé et Joëlle jouent ensemble depuis plusieurs heures dans notre cabine en avant. Elles en sortent pour le repas du midi avec une idée en tête: lancer une bouteille à la mer!
Quelle bonne idée ! Chloé qui aime beaucoup écrire a déjà en main un poème qui sera glissé dans la bouteille avec nos coordonnées. La probabilité* que cette bouteille soit retrouvée sans avoir sombré ou avoir été brisé sur les rochers d’une plage lointaine est faible et semble un rêve irréalisable, mais qui sait! Nous la lancerons à la mer après le repas.
6 mois plus tard, mi-avril 2004
Océan Atlantique un peu au sud de l’équateur en route vers la Barbade.
Nous sommes réunis en famille sur le pont de Balthazar pour admirer ce qu’aucun de nous n’avait vu auparavant. La lune s’est levée à l’est et éclaire de toutes les couleurs de l’arc-en-ciel le grain qui file vers l’ouest : un arc-en-ciel de lune ! Wow !
En matinée, une autre belle surprise nous attendait, nous avons reçu par les ondes radio un courriel que voici:
Ek het julle boodskap op 1 April , 2004 omstreeks 12:58 gekry op ‘n strand wat Mabibi genoem word. Dit is amper op die grens van Mosambiek en Suid Afrika onder Koisi Bay. Ek is nie seker van die lengte en berrdt grade nie maar ek sal dit probeer kry en vir jou stuur.
Groete Jan en Melanie Stemmet.
Si vous êtes comme nous, vous n’y avez rien compris! Sauf peut-être les noms comme Suid Africa « Afrique du Sud». Nous avons alors écrit à des amis Sud-Africains pour la traduction. Le message fut traduit de l’afrikaans à l’anglais puis au français.
Traduction libre de l’anglais:
J’ai trouvé votre message le 1er avril 2004 vers 12h58 sur une plage qui s’appelle Mabibi. C’est presque à la frontière du Mozambique et de l’Afrique du Sud sous la baie de Koisi. Je ne suis pas sûr de la position exacte, mais je vais essayer de l’obtenir pour vous l’envoyer.
Cordialement Jan et Melanie Stemmet.
Pas besoin de vous dire que les filles étaient folles de joie! Leur bouteille avait vogué sur 3500 km d’océan pour finalement s’échouer sur l’une des grandes plages de sable blanc de la côte est africaine.
Épilogue
Jan et Mélanie Stemmet et leur fils quittaient leur ferme en banlieue de Pretoria en Afrique du Sud pour passer quelques jours sur la plage Mabibi près de la frontière avec le Mozambique. Ils ne se doutaient pas, en ce 1er avril 2004, qu’en jouant sur la plage et en creusant dans le sable près d’un rocher arrosé par les embruns de l’océan Indien, ils trouveraient un trésor. Une bouteille dans laquelle il y avait un message écrit dans une langue inconnue, le français! Une bouteille remplie d’un espoir onirique. Un message d’amitié écrit par une jeune fille de 13 ans avec l’espoir de nouer des liens. Une simple bouteille à la mer a fait de Melanie et Jan, via la mer, les ondes radio et internet, de nouvelles connaissances du bout du monde! Une simple bouteille à la mer a construit et éveillé en deux jeunes adolescentes des sentiments de confiance et d’optimisme!